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 Des idées coraniques antérieures à l’islam

 

Des idées coraniques dans le manichéisme

Le manichéisme [1] est à la fois une religion et une philosophie, créées au troisième siècle de notre ère, en Mésopotamie, par un homme nommé Mani. Il se caractérise par une division rigoureuse entre le bien et le mal. Pour les manichéens, il n’y a pas de zone grise. Un acte est entièrement bon s’il respecte les règles, entièrement mauvais dans le cas contraire. Les règles et les idées manichéennes exposées ci-dessous se retrouvent dans l’islam.

Mani décrivait l’histoire religieuse de l’humanité comme une chaîne de prophètes, dont il était le dernier maillon. Cette chaîne était formée pour une part de personnages venus des écrits sacrés juifs, Adam, Noé, Sem, Hénoch. Le Christ fut mis dans la liste, et celle-ci complétée par Zoroastre et Bouddha, qui vécurent dans l’Inde et la Perse, pays connus de Mani.

D’après Mani, tous ces personnages sont des prophètes, qui disent tous exactement la même chose. Il y en a une lignée parce que les hommes oublient, et que la bonne religion doit leur être rappelée périodiquement. Il y a là des différences significatives avec les conceptions juives : pour ces derniers, Adam, Noé, Sem ne sont pas des prophètes, et ils agissent et parlent de façon différente. De plus et surtout, pour le judaïsme, "Tu (le peuple d’Israël) reconnais, à la réflexion, que le Seigneur ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils." [2]. De ce fait, la morale israélite change avec le temps, au rythme des progrès de cette éducation. Dans la partie la plus ancienne de la Bible, environ 18 siècles avant notre ère, le talion interdit que la vengeance soit supérieure à l’offense. C’est le célèbre "œil pour œil, dent pour dent" [3] Cinq siècles plus tard, la notion de pardon apparaît : "Ne te venge pas, et ne sois pas rancunier à l’égard des fils de ton peuple : c’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même." [4]. L’idée d’évolution morale de l’humanité, qui caractérise la pensée juive, et qui est passée du judaïsme au christianisme, est frontalement opposée à l’idée d’invariance, qui caractérise le manichéisme, le nazaréisme et l’islam.

Mani déclarait qu’il était le dernier et le plus grand des prophètes, le "Sceau des prophètes" [5], et qu’il était l’"apôtre de la dernière génération", ce qui signifie le dernier avant la fin des temps. Le Christ ayant annoncé la venue future de l’Esprit Saint, nommé le Paraclet, Mani a déclaré que le Paraclet, c’était lui.

Mani insistait sur le fait que les prophètes antérieurs parlaient de façon obscure, utilisaient des paraboles, alors que lui, le dernier et le meilleur de la lignée, parlait clairement. Mani donnait encore une preuve de sa supériorité sur les autres prophètes : Zoroastre, Bouddha et Jésus n’ont pas laissé de livre écrit de leur main, ce qui a ouvert la porte a bien des déviations, tandis que lui en a laissé un, le dernier, le meilleur et le plus clair des écrits sacrés.

Mani avait du mal à expliquer les discordances entre son livre et les écrits de ses prédécesseurs, puisque, d’après lui, tous les prophètes disaient exactement la même chose. Il s’en tirait en disant que les juifs avaient falsifié l’Ancien Testament et les chrétiens les Evangiles.

Mani avait expliqué l’origine de sa révélation : il s’était retiré dans une grotte pour méditer, un ange était venu le voir, lui avait transmis une révélation étalée dans le temps, au cours de multiples apparitions.

Mani avait établit un jeûne annuel de quarante jours, comme les chrétiens, mais cependant un peu différent. Alors que les chrétiens mangent de jour, légèrement, en s’abstenant de viande, les manichéens mangeaient tout ce qu’ils voulaient, mais seulement la nuit.

Tous ces éléments se retrouvent dans l’islam. Il présente l’histoire religieuse de l’humanité comme une succession de prophètes qui tiennent tous le même discours [6], car ils ne font que des "rappels" [7]. La lignée est formée de personnages venus des écrits juifs, Adam, Noé, Abraham, Loth, du Christ, et de quelques prophètes venus des légendes arabes, Salih, Chu’aïb, Houd. Mahomet est le "sceau des prophètes" [8], ce qui signifie le dernier avant la fin des temps, et il est le Paraclet annoncé par le Christ [9].

Le Coran est le meilleur des livres sacrés car c’est un livre clair [10]. Les discordances entre le Coran et les écrits sacrés des juifs et des chrétiens sont dues à des falsifications par ces derniers [11].

Mahomet s’est retiré dans une grotte pour méditer. L’ange Gabriel est venu lui dicter le Coran, par fragments successifs, au cours de plusieurs années.

Le jeûne musulman reproduit les règles du jeûne manichéen, mais son nom, ramâdan, vient de l’araméen ramâd, cendre, qui rappelle la coutume chrétienne de l’entrée en carême, le mercredi des cendres.

D’après l’histoire califale, Abû Sufyân fut polythéiste, comme tous les mecquois préislamiques. Ibn Habîsb s’inscrit en faux contre cette assertion, car il le place dans une liste des "manichéens de Qoraysh" [12]. Comme Abû Sufyân fut un des principaux chefs Qoreychites, que son fils Muawiyah devint calife, et que d’autres membres de la tribu qoreychite étaient manichéens, les rédacteurs du Coran ne manquaient pas d’informations sur le manichéisme.

Les nazaréens plaçaient le Christ au centre de leur théologie. Il fallait lui retirer cette place centrale pour occulter le rôle des nazaréens. L’utilisation d’un schéma manichéen permet de minimiser son rôle, en en faisant un membre d’une longue lignée, et la place principale, la dernière avant la fin des temps, peut être donnée à Mahomet, ce qui met l’ethnie arabe au centre de la nouvelle conception. L’usage d’une lignée permet également d’accentuer le caractère ethnique en y introduisant quelques prophètes venus des traditions arabes. On peut conjecturer que ce sont là les raisons qui ont conduits à utiliser ce schéma.

 

Le Coran et la Table Gardée

Le Table Gardée du paradis est présente dans une fable des milieux populaires juifs, puis chrétiens. En voici la genèse.

Environ dix siècles avant notre ère, quand ils voulaient diffuser un édit, les rois de Mésopotamie convoquaient un messager et deux scribes. Le messager apprenait l’édit par cœur, les deux scribes rédigeaient deux textes sur des tablettes d’argile, qui étaient ensuite transformées en terre cuite dans un four. L’une des tablettes était conservée dans les archives royales, l’autre confiée au messager qui délivrait son message verbalement et remettait la seconde tablette au destinataire, pour authentifier son message.

Vers l’an 400 avant notre ère, certains juifs se sont emparés de cette tradition pour l’appliquer à la Tora. Une communauté juive s’était établie autour de Jérusalem, un siècle auparavant, après l’exil de Babylone. Cette communauté n’avait pas de roi et ses quelques prêtres connaissaient mal le judaïsme. Un scribe juif, Esdras, suscita un rassemblement à Jérusalem, et leur lut la Tora, en insistant sur le fait qu’elle venait de Dieu et avait été transmise à Moïse pour qu’il la transmette au peuple juif. Esdras a ainsi introduit une nouvelle version sur l’origine de la Tora. Avant lui, elle avait été écrite par Moïse, sous l’inspiration de Dieu [13]. Après lui, Dieu Lui-même écrit la Tora et Moïse la transmet [14]. Le peuple a ainsi fait de Moïse le messager de Dieu, qui récitait par cœur un texte dont l’original était conservé dans les archives de Dieu, à l’instar des messagers et des archives royales. Cette tradition juive est décrite dans un des traités du Talmud [15].

Les premiers chrétiens ont repris cette tradition [16] : dans les Actes des Apôtres et dans la lettre de Saint Paul aux Galates, Moïse est le messager venu apporter des tables écrites par les anges. Cette tradition populaire a été reprise dans le Livre des Jubilés [17] et dans le Pasteur d’Hermas. Pour les théologiens chrétiens comme pour les théologiens juifs, on doit l’entendre au sens métaphorique, puisque les textes sacrés juifs et chrétiens sont inspirés et non dictés.

A cette époque, bien des chrétiens étaient des juifs convertis, qui apportaient leurs traditions populaires et leur tendance à l’interprétation littérale. Pour eux, les versets des Actes des Apôtres et de Saint Paul signifiaient littéralement ce qu’ils disaient : Dieu était conçu comme une sorte de super roi, il avait lui aussi ses archives ; la Tora aurait été dictée par Dieu à ses anges messagers, et en même temps écrite par ses anges archivistes sur les tables gardées du Paradis.

L’idée que Dieu était un super-roi ayant ses archives semble avoir été assez répandue parmi les judéo-chrétiens. Au 1ier siècle, un gnostique nommé Elxaï avait adaptée cette idée à sa doctrine, et déclarait que le livre qu’il avait écrit était une copie apportée par un ange d’un livre écrit par Dieu lui même et conservé au paradis sur une Table Sainte [18].

Les nazaréens, des juifs du peuple peu instruits, ont reçu cette idée sous la forme répandue chez les juifs et les chrétiens du peuple, considérant que Moïse était un messager transmettant la Tora écrite par Dieu. Leurs convertis arabes l’ont reprise, Moïse a été remplacé par Mahomet, et la Tora par le Coran.

 

Le Coran incréé

Le judaïsme populaire connaissait cette idée attribuée au Coran. Le Talmud dit [19] :

"Sept choses ont été crées avant la fondation du monde : la Tora, le repentir, le jardin d’Eden, la Géhenne, le Trône de Gloire, le Temple et le nom du Messie."

Pour les talmudistes, il s’agissait d’exalter la sainteté de la Tora en la mettant sur le même plan que le jardin d’Eden ou le Trône de Gloire. Des juifs populaires ont pris cette formulation au sens littéral, et conclu que la Tora était incréée. Comme pour les autres traditions juives, les nazaréens avaient sans doute reçu celle-ci au sens littéral, et l’ont transmise à leurs convertis arabes.

 

L’arabe, langue du Paradis

C’est encore une idée présente, bien avant l’islam, dans un conte populaire chrétien. Voici dans quelles circonstances il s’est formé.

Edesse fut une ville araméenne, aujourd’hui située en Turquie, à 50 kilomètres au nord de la frontière turco-syrienne et à 250 kilomètres de la Méditerranée. Après avoir envahi cette région en 1146, les Kurdes ont massacré une part de la population, déporté le reste, repeuplée la ville de musulmans et l’on renommée Urfa.

Elle avait été la première grande ville dont une part significative de la population était devenue chrétienne. Vers l’an 200, les chrétiens avaient bâti des églises, et surtout constitué un centre culturel très actif, qui produisit des textes philosophiques, des hymnes, des homélies, des prières utilisées dans la liturgie, et la Peshitta, une traduction de la Bible en araméen, encore utilisée aujourd’hui. La communauté chrétienne était formée pour une part de juifs convertis, qui gardaient des relations avec les autres communautés juives, en particulier celles de Palestine et celles d’Adiabène, à l’est du Tigre.

En raison de ces liens et du rayonnement intellectuel de la ville, l’évangélisation de la région a été réalisée sous l’influence de la communauté d’Edesse, et souvent par ses missionnaires, dont le plus actif fut Mari, qui créa des communautés chrétiennes en Arménie et dans toute la Mésopotamie, du nord au sud.

A l’époque, l’araméen n’était pas une langue, mais un groupe de langues étroitement apparentées. Il y avait des différences entre les langues araméennes d’Edesse, d’Adiabène, de Babylone, de Palestine, de l’Arabie Pétrée. En raison de l’activité de ses missionnaires et de sa créativité intellectuelle, l’araméen d’Edesse devint la langue liturgique de toute la région et l’est restée jusqu’à aujourd’hui. Cette forme particulière d’araméen porte le nom de syriaque.

Cette langue était proche de l’araméen de Palestine, la langue populaire que parlait le Christ. Certains chrétiens du peuple ont imaginé que, puisque le Christ parlait cette langue sur terre, il la parlait aussi au paradis, avant son Incarnation, et que le syriaque, leur langue liturgique, était la langue du paradis.

Ce conte était répandu parmi les chrétiens dont la langue liturgique était le syriaque, ce qui était précisément le cas des nazaréens, qui utilisaient le syriaque et l’hébreu. Ceux qui ont mis le Coran par écrit avaient ainsi cette idée sous la main, ils l’ont transposé du syriaque à l’arabe, et elle a permis d’expliquer comment le Coran incréé avait pu être rédigé en arabe avant que le monde n’existe [20].

On retrouve une trace de ce parcours dans la tradition califale qui dit qu’Adam parlait d’abord l’arabe au paradis. Expulsé du paradis pour avoir mangé le fruit interdit, il lui fut défendu de parler l’arabe, et il dut se contenter du syriaque. Plus tard encore, s’étant repenti, il ne retourna pas au paradis, mais fut de nouveau autorisé à parler arabe, qui resta ainsi la langue unique de tous les hommes jusqu’à la tour de Babel [21].

 

 

 

 

 

[1] Henri Charles Puech, dans l’Histoire des religions, tome II, article Le Manichéisme, publiée par l’Encyclopédie de la Pléiade, Paris 1972.

[2] Deu, chapitre 8, verset 5.

[3] Exode, chapitre 21, verset 24.

[4] Lévitique, chapitre 19 verset 18.

[5] Dans Daniel, 9, 24 et 25, le "Prince Messie" va "sceller vision et prophétie". Il est envisageable que Mani ait puisé dans ce passage son expression de "sceau des prophètes", reprise à l’identique par le Coran.

[6] Sourate 2, verset 41, 89, 91, 97, 101. Sourate 3, verset 3 et 81. Sourate 4, verset 47. Sourate 5, verset 48 Sourate 36, verset 92. Sourate 10, verset 37. Sourate 12, verset 111. Sourate 35, verset 31. Sourate 46, verset 12 et 30.

[7] Sourate 21, verset 48

[8] Sourate 33, verset 40.

[9] Sourate 61, verset 6.

[10] Sourate 5, verset 15. Sourate 12, verset 1. Sourate 15, verset 1. Sourate 26, verset 2. Sourate 27, verset 1. Sourate 28, verset 2. Sourate 36, verset 69. Sourate 43, verset 2. Sourate 44, verset 2.

[11] Sourate 2, versets 75 et 79. Sourate 3, verset 78. Sourate 4, verset 46. Sourate 5, versets 13, 15 et 41. Sourate 6, verset 91. Sourate 7, verset 162.

[12] Ibn Habîsb, Muhabbar.

[13] Deuxième livre des Rois, chapitre 21, verset 8.

[14] Deuxième livre des Chronique, chapitre 3, verset 8.

[15] Pirké Aboth, 5, 6.

[16] Actes des Apôtres, chapitre 7, verset 53. Epitre de Saint Paul aux Galates, chapitre 3 verset 19. Livre des Jubilés, 4, 32 ; 15, 15 ; 16, 28 etc.

[17] Livre des Jubilés, 4, 32 ; 15, 15 ; 16, 28 etc.

[18] Jean Daniélou, Théologie du Judéo Christianisme, Editions du Cerf, Paris, 1958

[19] Pesah’im 54 a

[20] Harald Suermann, Professeur Docteur à l’université de Bonn, Oeuvre d’Orient, N° 745, 4ième trimestre 2006.

[21] Iraqi, Qurab.

 

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