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Les strates du Coran

 

L’abrogation

Certains versets du Coran sont contradictoires. Celui-ci établit la liberté de croyance  [1] :

"Pas de contrainte en religion."

Un autre l’interdit, en imposant la peine de mort aux musulmans qui ne croient plus à l’islam  [2] :

"Tuez les partout où vous les trouverez."

La contradiction est résolue par les versets de l’abrogation  [3] : quand deux versets sont contradictoires, le dernier en date annule et remplace le précédent. La datation établie par les érudits de l’islam, et admise aujourd’hui universellement dans l’islam, fait de tous les versets modérés, sans aucune exception, des abrogés, et de tous les versets violents, également sans aucune exception, des abrogeants.

Ces contradictions impliquent une rédaction par strates successives, une première modérée, une seconde violente, les versets de l’abrogation rétablissant une certaine cohérence. C’est la thèse des érudits musulmans, qui attribuent la première strate à la période mecquoise, la seconde à la médinoise. Cependant nous avons vu les raisons nombreuses et convergentes qui rendent très improbable l’idée d’une période mecquoise. Il reste que l’abrogation rend inévitable l’idée d’au moins deux strates. Il est probable que la strate violente a été introduite en raison d’un changement de politique, et que les versets de l’abrogation ont été introduits plus tard encore, pour répondre à ceux qui récusaient les versets violents au nom des versets modérés.

 

Les contradictions

Une autre indication d’une écriture du Coran par strates successives vient des informations contradictoires. Un des membres de la famille de Noé a été noyé avec les incrédules. D’après un verset, c’est son fils [4], d’après un autre, son épouse [5]. De même le pharaon à la poursuite des Hébreux est sauvé dans des versets [6], noyé dans d’autres [7]. Le changement des faits allégués montre que ces strates ont été accumulées sur une très longue période, suffisamment longue pour que la cohérence ne puisse être maintenue. Cela implique la mort des premiers rédacteurs et la perte de leur souvenir avant l’intervention des rédacteurs suivants, soit une durée supérieure à une génération.

 

Les discours de motivation

La sourate 12, qui porte le nom de Joseph, en est un bon exemple. L’étude détaillée de la séquence des versets montre qu’elle n’est nullement un récit destiné à instruire des gens qui ne connaîtraient pas l’histoire, mais une évocation de cette histoire destinée à des gens qui en ont déjà entendu parler. Des commentaires entrecoupent le récit et le suivent, pour l’utiliser aux fins de l’orateur.

Ordinairement, lorsqu’un livre sacré raconte une histoire, il le fait de façon suivie. Ensuite, des théologiens ou des juristes étudient cette histoire, et rédigent des commentaires ou des interprétations. Dans cet exemple du Coran, l’histoire est déjà connue des auditeurs. Puisqu’il s’agit d’un récit sacré, les auditeurs l’ont appris par un autre livre sacré, différent et antérieur au Coran. C’est explicitement ce que dit le locuteur du Coran après avoir achevé son récit  [8] :

"Ce n’est pas ici un conte imaginé, mais c’est la confirmation de ce qui existait avant ceci."

Divers commentaires interrompent le récit  [9] :

"Il y a vraiment en Joseph et ses frères des Signes pour ceux qui posent des questions."

Ceux qui posent des questions sont les auditeurs récalcitrants. Ils feraient bien de voir dans le récit le signe que lorsqu’un homme parle avec l’autorité d’Allah, que ce soit Joseph ou l’orateur, les auditeurs qui contestent subissent des châtiments effroyables. Autre commentaire  [10] :

"Allah est souverain en son commandement, mais la plupart des hommes ne savent pas."

Le commandement d’Allah, comme le rappelle plus de vingt fois le Coran, c’est que les hommes doivent obéir à ceux qui parlent au nom d’Allah.

Les dix derniers versets de la sourate sont un commentaire, dans lequel l’orateur déclare qu’il ne demande pas d’argent à ses auditeurs, mais que ceux-ci doivent lui obéir, que personne ne doit le traiter de menteur, qu’Allah sauve qui il veut, notamment ceux qui parlent en son nom, donc l’orateur lui-même, et qu’il punit de la pire façon les hommes coupables de contredire les messagers d’Allah. Ceux qui sont intelligents doivent suivre l’enseignement qui vient de leur être donné.

Les auditeurs ont déjà reçu un enseignement, et l’orateur s’efforce d’établir son autorité sur eux. C’est un discours prononcé par un locuteur humain. Il a sans doute été prononcé de son vivant par Mahomet, avant 634, et inclus dans la collecte d’Othmân, vers 650.

 

Les nazaréens dans le Coran

Ils sont évoqués dans le Coran [11] :

 

"S’ils (les juifs et les chrétiens) avaient observé la Tora et l’Evangile,
Et ce qui leur a été révélé par leur Seigneur,
Ils auraient certainement joui

Des biens du ciel et de ceux de la terre.
Il existe parmi eux des gens modérés,
Mais beaucoup d’entre eux font le mal."

Ceux qui sont concernés par la Tora et l’Evangile sont les juifs et les chrétiens, qui font le mal, les premiers parce qu’ils nient le Christ, allant trop loin dans la négation, les seconds parce qu’ils le tiennent pour Dieu, allant trop loin dans l’approbation. C’est pourquoi les uns et les autres ne jouissent pas des biens de la terre et du ciel. Cependant, il existe parmi les gens du Livre des modérés, ni négateurs comme les juifs, ni excessivement approbateurs comme les chrétiens, lesquels "passent la mesure" à propos du Christ, en le déclarant Dieu [12]. Ces gens modérés, qui reconnaissent le Christ, mais comme un homme seulement, sont des nazaréens.

Un autre verset les concerne [13] :

"Nous avons fait de vous (les nazaréens) une communauté éloignée des extrêmes."

Il ne s’agit pas des musulmans tels que définis actuellement, comme le disent les docteurs islamiques, puisque ceux qui sont "éloignés des extrêmes" sont les modérés. Or le verset précédemment cité montre que ces modérés sont des "Gens de la Tora et de l’Evangile," Evangile au singulier, c’est-à-dire des nazaréens. Il est difficile de prétendre que l’expression "croyants modérés" désigne un groupe dans un verset, et un groupe tout différent dans un autre.

Certains traducteurs s’éloignent des mots précis du texte arabe, qui sont "éloignés des extrêmes", et traduisent soit par "intermédiaires", interprétant ce mot comme signifiant que les musulmans seraient des intermédiaires entre Allah et les autres hommes, ou parfois "modérés" comme si les musulmans étaient des non violents. En fait, le terme modéré, dans la sourate 4, verset 171, d’après le contexte qui cite la Tora et l’Evangile, signifie clairement que les extrêmes sont les juifs trop négateurs et les chrétiens trop approbateurs, et que les modérés sont les nazaréens dont la théologie s’écarte de ces extrêmes.

Il s’agit ici d’un exemple de l’incertitude des conjectures des érudits musulmans : pour les uns, ces modérés sont les musulmans intermédiaires entre Allah et les non musulmans, pour les autres ces modérés sont des non violents. Même pour les spécialistes, le sens du Coran est incertain.

Ces versets, puisqu’ils approuvent les nazaréens, ont été rédigés avant leur exclusion en 650, puis collectés par Othmân et inclus dans sa version du Coran.

 

Les interpolations qui excluent les nazaréens du Coran

Interpoler consiste à introduire des éléments étrangers au texte initial, des mots, des phrases, des paragraphes ou des chapitres entiers. Ils sont nombreux dans le Coran, et nous allons en voir plusieurs exemples. Les versets précédents impliquent les nazaréens par le contexte, sans les nommer directement. D’autres versets les nomment. Ces versets devaient être trop largement diffusés pour être exclus. Ils ont été traités par réinterprétation, en affirmant que nazaréen signifie chrétien. Cette réinterprétation a exigé des interpolations repérables par l’exégèse, et de plus a introduit des incohérences.

Jean de Damas témoigne, en 746, que le terme de mushrikun, associateur, ne signifie ni idolâtre, ni polythéiste, comme le disent aujourd’hui les commentateurs musulmans, mais chrétien [14] :

"Ils nous appellent associateurs, car, affirment-ils, nous introduisons un associé au côté de Dieu, en disant que le Christ est fils de Dieu et est Dieu."

Le verset suivant montre que les associateurs sont bien les chrétiens [15] :

 

"Oui, ceux qui disent :
« Dieu est le Messie, fils de Marie », sont impies.
Or le Messie a dit : « Ô fils d’Israêl !
Adorez Dieu, mon Seigneur et votre Seigneur. »
Dieu interdit le paradis à quiconque donne des associés à Dieu.
Sa demeure est dans le feu.
Il n’existe pas de défenseur pour les injustes."

Il est parfaitement clair que dans ce verset, le 72, les associateurs sont les chrétiens, car les chrétiens seuls disent que le Messie, c’est-à-dire le Christ, est Dieu. En tant qu’associateurs, ils sont injustes et voués au feu, l’enfer.

Ce reproche est exactement le même que celui des nazaréens : "associer" le Christ à Dieu, consiste à proclamer que le Christ est "Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière", une des trois personnes du Dieu unique trinitaire [16].

Dans la même sourate, dix versets plus loin, le verset 82 est : [17]

"Tu constateras que les hommes les plus hostiles aux croyants sont les juifs et ceux qui associent.

Tu constateras que les hommes les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent : oui, nous sommes nazaréens."

On retrouve les associateurs, qui, comme au verset précédemment cité, sont les plus hostiles aux musulmans, lesquels sont des Justes qui iront au paradis. Quand aux nazaréens, qui n’associent pas, ils sont si proches des musulmans qu’ils sont leurs meilleurs amis.

Ceci est cohérent, mais la tradition musulmane le rend incohérent en prétendant que ce mot associateur, qui signifiait chrétien au verset 72, signifie idolâtre au verset 82 : le même mot change de sens. A cette première incohérence, elle en ajoute une seconde : les chrétiens, nommés mushrikun, associateurs aux versets 72, sont maintenant nommés nazaréens au verset 82 : le même sens change de mot. Une troisième incohérence s’ajoute : au verset 72 les chrétiens sont d’abominables associateurs voués à l’enfer, au verset 82 ils deviennent si justes et respectables qu’ils sont les meilleurs amis des musulmans.

Ces incohérences visent à cacher le sens véritable du verset 82 : les meilleurs amis des musulmans sont les nazaréens. Les rédacteurs du Coran ont laissé passer un indice majeur révélateur de l’origine de l’islam, qu’il fallait occulter. Au moment où des commentateurs ultérieurs s’en sont rendus compte, cette version du Coran était trop largement diffusée pour la faire disparaître. La seule solution était de la réinterpréter, fut-ce au prix d’une série d’incohérences.

La tentative de dissimuler la présence des nazaréens en prétendant que ce mot désigne des chrétiens est manifeste également au verset 51 de la même sourate :

"Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas pour amis les juifs et les nazaréens."

Compte tenu du contexte, ici, le mot nazaréen a le sens de chrétiens. Mais précisément l’analyse exégétique montre que "et les nazaréens" est une interpolation qui se trahit par une rupture du rythme, comme l’a montré Antoine Moussali [18].

En dehors de la rupture de rythme, le fait qu’il s’agisse d’une interpolation est manifeste parce qu’elle introduit une incohérence : au verset 82 les nazaréens sont les plus proches par l’amitié, au verset 51 ils sont si détestables qu’ils sont comme les juifs, lesquels sont des falsificateurs des Ecritures [19], des singes et des porcs [20].

Les autres mentions où nazaréen semble signifier chrétien sont également des interpolations, repérables par les mêmes ruptures de rythme, et les mêmes incohérences du contexte. Joseph Azzi en a identifié un certain nombre [21].

Tous les textes concernant Waraqa montrent de surcroît que nazaréen ne pourrait signifier chrétien : Waraqa était nazaréen. Il était, avec Mahomet, "un des chefs et des guides des Arabes". S’il avait été chrétien, il aurait affirmé la divinité du Christ, ce qui aurait fait de lui un "associateur". Il lui aurait été impossible d’être un chef et un guide pour ceux qui vouaient les associateurs à l’enfer.

Une autre raison encore montre que nazaréen ne peut signifier chrétien : Waraqa avait traduit en arabe les livres sacrés nazaréens à partir de l’hébreu. Si nazaréen avait signifié chrétien, il aurait traduit à partir de la langue des livres sacrés chrétiens. Depuis six siècles, c’était le latin dans la partie occidentale de l’empire romain, le grec dans la partie orientale et le syriaque dans certaines contrées du Proche-Orient. Les seuls livres sacrés en hébreu étaient ceux des juifs et ceux des nazaréens, parce que ces derniers judaïsaient. Waraqa ne pouvait avoir traduit des écrits juifs, puisque les juifs sont condamnés par le Coran. Il n’a ainsi pu traduire que des textes nazaréens.

La traduction de "nazara" par "chrétien" vise à dissimuler la présence des nazaréens dans le Coran, et produit les incohérences indiquées. Pour donner un peu de vraisemblance à cette traduction, il a été introduit des interpolations dans lesquelles nazaréen signifie chrétien d’après le contexte.

Ces interpolations et interprétations montrent que la rédaction a été faite par strates successives, une première, datant d’avant 650 où les nazaréens étaient nommés, explicitement dans certains versets et implicitement dans d’autres, et une seconde, plus tardive, où ils sont occultés, notamment en introduisant des interpolations. Comme la collecte d’Othmân a été faite en même temps que l’exclusion des nazaréens, et pour la même raison, ces interpolations et interprétations ont du être faites peu après 650, pour rendre utilisables dans le nouveau projet les discours prononcés par Mahomet de son vivant, avant sa mort en 634, quand il n’était pas encore question d’exclure les nazaréens.

Les interpolations qui introduisent Mahomet dans le Coran

Ils adaptent à un nouveau cadre des textes qui à l’origine exprimaient une théologie partiellement semblable (la conquête armée du monde par les Justes), mais aussi partiellement différente (Mahomet n’est plus un chef de guerre mais devient un messager d’Allah).

Ce sont encore des manifestations de la rédaction du Coran par strates successives, une première strate où Mahomet était absent du Coran, une seconde où des interpolations introduisent Mahomet.

Voici un exemple de l’introduction du nom de Mahomet. L’analyse est celle d’Edouard-Marie Gallez [22].

Le changement se fonde sur l’opposition de deux mots. Le premier est recouvrir, (racine kfr). Dans les textes d’origine nazaréenne, ce terme signifie dissimuler le fait que le Christ était le Messie. Ce reproche majeur s’adresse aux juifs. Le second mot est couvrir. Il se fonde sur la même racine consonantique. Il signifie que Dieu couvre les péchés, c’est-à-dire les pardonne. Dans la traduction, le balancement entre recouvrir et couvrir est perdu, ce qui masque le rythme rhétorique et occulte l’interpolation. En voici la traduction  [23] :

"Allah rendra nulles les œuvres de ceux qui ne croient pas et détournent les autres de son chemin.

Quant à ceux qui croient, pratiquent le bien et croient à ce qui a été révélé à Mahomet, et ce qui est la vérité venant du Seigneur, Allah couvrira leur péché et rendra leur cœur droit.

Il en sera ainsi parce que ceux qui ne croient pas ont suivi le mensonge, et ceux qui croient ont suivi la vérité."

Nous sommes en présence d’un balancement rhétorique :
Ceux qui recouvrent, Allah les égare
Ceux qui croient, Allah les couvre
Ceux qui recouvrent, sont dans le faux
Ceux qui croient, sont dans le vrai.

L’analyse exégétique complète impose de rechercher les versets contenant les termes couvrir ou recouvrir, afin de les comparer à ces versets. La conclusion est celle qui apparaît à la vue de la rupture du balancement rhétorique, qui s’accompagne, dans le texte arabe, de la rupture du rythme prosodique : les mots "pratiquent le bien et croient à ce qui a été révélé à Mahomet, et ce qui est la vérité venant du Seigneur," sont une interpolation, un ajout à un texte où il n’était nullement question de Mahomet.

Les trois autres mentions de Mahomet dans le Coran sont aussi des interpolations de cette sorte [24]. Ces mentions tardivement ajoutées manifestent aussi la composition par strates : elles sont postérieurs à 686, puisque avant cette date Mahomet n’était pas un prophète, et ne pouvait donc pas être le transmetteur du Coran.

 

Un Coran archaïque ignorait Mahomet

Une traduction du Coran a été faite en syriaque au dixième siècle ou avant, par Denys Bar Salibi, évêque d’Amid [25]. Le texte qu’il a traduit était ancien et ne comportaient pas toutes les modifications introduites par les califes. La traduction montre que les Corans primitifs différaient de l’actuel, et portaient des traces plus nettes de leur origine nazaréenne : le verset 171, sourate 4, était ainsi rédigé :

"Le Messie, Îsâ, fils de Marie est certes le messager de Dieu et sa parole qu’il jeta vers Marie et un esprit venu de lui. Croyez donc en Dieu et en son Messie."

Dans la version actuelle, la dernière phrase devient :

"Croyez donc en Dieu et en ses messagers."

Dans le texte primitif, le messager de Dieu est uniquement le Christ, comme chez les nazaréens. Dans le Coran califal, "son Messie" a été remplacé par "ses messagers", au pluriel ce qui laisse une place à Mahomet. Après la phrase précédente au singulier, ne faisant état que du Messie, la suivant, au pluriel dans le Coran califal, est illogique.

La même conclusion que précédemment s’impose : ces versets ont été rédigés après que Mahomet soit devenu un prophète transmetteur du Coran, donc après 686.

 

Les mots islam et musulman

Nous avons vu à la page "Mahomet, l’islam et les musulmans", dans le paragraphe "Les mots islam et musulman" que ces mots sont apparus 60 ans au moins après la mort de Mahomet. Les quelques 80 versets qui comportent un de ces mots ont ainsi nécessairement écrits au plus tôt après 691. 

 

La strate normative du Coran

Le plus ancien document juridique musulman est le Fiqh Akbar 1, écrit vers 750, plus d’un siècle après la mort de Mahomet. Il présente les vues de l’orthodoxie islamique sur les questions qui se posaient alors, en particulier en matière juridique, en les comparant à celles des autres sectes. Ce document ne fait aucune allusion au Coran. Or, à partir de 15 ans après la mort de Mahomet, et pendant les deux siècles suivants, les califes se sont donnés beaucoup de mal pour recueillir, expurger, modifier et compléter les textes attribués à Mahomet. En 750, depuis une soixantaine d’années, Mahomet était considéré comme le prophète fondateur de l’islam. Que le Coran à cette époque n’ait eu cependant aucun poids en matière juridique signifie que les 800 versets fixant des règles juridiques, qui se trouvent dans les Corans d’aujourd’hui, étaient absents des Corans de 750. Ces 800 versets forment une strate normative postérieure à 750.

 

Les versets qui ne peuvent avoir Allah pour locuteur

Le Coran est écrit par Allah, mais sa syntaxe implique qu’un certain nombre de versets sont prononcés par des humains. Il en est ainsi des bénédictions et des malédictions  [26] :

"Que les deux mains d’Abou Lahab périssent, et que lui-même périsse !"

Contre les juifs et les chrétiens [27] :

"Que Dieu les anéantissent ! Ils sont tellement stupides !"

Il y en a d’autres, contre les juifs [28], les hypocrites (les contradicteurs) [29], les incrédules [30], le démon [31]. Il y a aussi des bénédictions concernant Allah lui-même [32] :

"Béni soit Dieu, le meilleur des Créateurs !"

Le Coran implique ici qu’il y aurait plusieurs Créateurs, parmi lesquels le meilleur serait Allah. Il y a encore d’autres bénédictions d’Allah [33]. Il est clair que cette syntaxe implique que le locuteur est humain : Allah ne pourrait s’invoquer lui-même pour se prier de détruire ses ennemis, ou pour obtenir qu’il se bénisse lui-même.

Ces versets sont des exemples parmi une légion. Ainsi, la plus fameuse sourate, la Fatiha, qui commence le Coran, est : "Au nom d’Allah…C’est toi que nous adorons, c’est toi dont nous implorons le secours…" Il est manifeste que c’est un adepte qui parle, et non Allah. Ou encore la sourate 53 :"Par l’étoile lorsqu’elle disparaît ! Votre compagnon n’est pas égaré." La syntaxe implique que le locuteur a des compagnons, et qu’il invoque l’autorité de l’étoile parce que la sienne est insuffisante.

Les érudits de l’islam proposent une solution simple : il suffirait d’ajouter "dis ! :" avant ces discours pour qu’ils puissent être attribués à Allah : ce ne serait plus l’adepte qui s’exprime, mais Allah qui indique les paroles qu’il veut entendre prononcer par l’adepte. De fait, cette méthode est abondamment utilisée : le mot "dis ! :" en tête de verset ou de paragraphe figure 236 fois dans le dans le Coran, plus encore 73 fois sous des formes voisines, par exemple : "dis aux incrédules ! :", ou : "dis à ceux qui argumentent contre toi ! :", ou encore, à six reprises, après une question de pure forme : "réponds ! :" Cependant, il aurait fallu introduire ces mots près de 500 fois pour pouvoir attribuer à Allah tout ce qui vient clairement d’auteurs humains.

Le problème posé par ces versets est celui de comprendre pourquoi la réécriture a ces limites. Les rédacteurs qui ont plus de trois cent fois ajouté "dis ! :" ne peuvent avoir été négligents au point d’oublier plus de cent occurrences.

Cette situation implique une rédaction par strates successives : au moment où le premier assemblage de textes a été fait, la thèse du Coran incréé directement rédigé par Allah ne faisait pas partie du dogme musulman, et une première strate a été faite, à partir de 650. Cette première strate est formée des textes du lectionnaire nazaréen, de la collecte d’Othmân, et des versets rédigés ensuite, avant que la thèse de Coran incréé ne soit imposée par les califes. En 650, Mahomet n’était pas considéré comme un prophète, il n’était pas censé recevoir une dictée d’Allah, et le Coran n’avait pas à être rédigé de façon à ce que son locuteur soit Allah.

Allah est devenu le locuteur du Coran vers 800 au plus tôt : la thèse du Coran incréé a été introduite par Ibn Hanbal, qui a vécu de 780 à 855. C’est donc un peu après l’an 800 que les 300 "dis ! :" ont été ajoutés, formant une seconde strate.

Les plus de 100 versets, comme la Fatiha, les bénédictions, les malédictions, etc. attribuables à des locuteurs humains, ont nécessairement été ajoutés plus tard, formant une troisième strate : lors de cette troisième strate, la thèse du Coran incréé n’était plus admise, car, si elle l’avait été, les rédacteurs auraient ajouté une centaine de "dis ! :" de plus.

Il est remarquable que les strates successives que montrent les "dis ! :" soient exactement les mêmes que celles qu’indique l’histoire de la thèse du Coran incréé : les rédacteurs initiaux qui ont rédigés 300 versets attribuables à des locuteurs humains ne connaissaient pas cette thèse, inconnue avant l’an 800. Puis, un peu après l’an 800, la thèse a été imposée, et les rédacteurs ont ajouté 300 "dis !". Ensuite, de 813 à 827, la thèse du Coran incréé a été contestée, puis, de 827 à 847, elle a été interdite. Après 847, cette thèse a été permise sans être obligatoire, elle s’est répandue de plus en plus largement, et vers 920, quelques 70 ans après avoir été de nouveau permise, elle est devenue obligatoire. Les cent et quelques versets attribuables à des locuteurs humains et qui ne comportent pas de "dis ! initial ont été ajoutés entre 827 et 850, quand le Coran a été fixé. Au début de cette période il n’était pas nécessaire de rajouter des "dis ! :", et, à partir de 850 environ, l’empire musulman était devenu immense, de très nombreux Corans étaient dispersés dans toutes les nations conquises, il était devenu impossible de récupérer tous les exemplaires, de les détruire, et de les remplacer par une nouvelle version, comme l’avait fait Hajjâj en 692, et ensuite d’autres après lui. D’où le maintien dans le Coran des 100 et quelques versets dont le locuteur ne peut être Allah. Cela indique la durée de rédaction du Coran, un peu plus de deux siècles entre le premier lectionnaire formé vers 620 ou 630, son enrichissement par la collecte d’Othmân en 650, ses modifications successives au cours des deux siècles suivants, et son achèvement dans la seconde moitié du neuvième siècle, où, malgré le retour de la thèse du Coran incréé, il n’a plus été possible de modifier le Coran pour l’adapter à ce retour.

 

Le désordre et le réservoir

Il se peut que l’on se trouve là en présence de la raison du désordre du Coran. Dans un système ordonné, les adjonctions auraient introduit des ruptures décelables. Dans un système désordonné, l’ordre ne peut être rompu, car il est absent.

On se trouve une nouvelle fois devant la conjecture qu’il existait une sorte de réservoir de textes nazaréens, remontant aux origines, dans lesquels les rédacteurs puisaient pour ajouter des versets selon les nécessités du moment. Un tel réservoir, formé à une époque où Allah n’était pas considéré comme l’auteur direct du Coran, n’était pas rédigé de façon à présenter Allah comme le locuteur. Les rédacteurs des diverses strates y ont puisé une partie de leurs matériaux. Cette conjecture s’était déjà présentée, du fait que les mots islam et musulmans viennent de l’Evangile nazaréen des Hébreux, alors que, depuis 45 ans avant l’introduction de ces termes, les nazaréens faisaient l’objet de manœuvres d’occultation.Cette conjecture se trouve à la page "Mahomet, l’islam et les musulmans", paragraphe "Les mots islam et musulman". 

 

La durée de rédaction du Coran d’après l’étude des akhbâr

Les akhbâr sont des récits ou des anecdotes qui racontent à quelle occasion a été dit un texte ou fait une action digne de mémoire. Toute l’historiographie musulmane se fonde sur l’utilisation des akhbâr. Une étude en a été faite par Alfred Louis de Prémare [34]. Elle le conduit à conclure que "Ils (les akhbârs) laissent penser que la constitution d’un Coran officiel fut une affaire plus longue et plus complexe que ce que l’on dit habituellement, et qu’elle fut contrôlée de point en point par la famille omeyyade, depuis Othmân jusqu’à Abd al-Malik, en passant par Mu’âwya et Marwân."

 

La datation des strates du Coran

La toute première strate, portant le nom de Coran, est le lectionnaire formé du vivant de Mahomet, avant 634 donc, à partir de traductions et de paraphrases de la Tora et de l’Evangile des Hébreux. Elle forme à peu près un quart du Coran actuel.

Environ la moitié du Coran actuel est formé des discours de Mahomet collectés par Othmân vers 650 mais prononcés par Mahomet avant sa mort en 634.

Les versets qui comportent les mots islam ou musulmans datent d’après 691, car ces mots ont été introduits quand ces termes ont été créés pour remplacer ceux de mahgrâyês et de muhâdjirûn.

Les interpolations qui introduisent Mahomet dans le Coran datent d’après le moment où Mahomet est devenu un prophète, donc de toute façon après 686 [35], et probablement bien plus tard, car vers 720 son rôle prophétique n’était toujours pas généralement accepté [36]. Pour la même raison il faut dater de la même époque le verset qui en fait un modèle à imiter, et ceux qui décrivent les actes qu’il faut imiter : le mariage avec la femme de son fils adoptif, la part de butin qui revient à Mahomet, et qui ensuite revient au calife puisque ce dernier imite Mahomet, le changement de qibla, etc.

Les prescriptions juridiques ont été introduites après le Le Fiqh Akbar 1, donc après 750.

Les 300 et quelques "dis ! :" ont été ajoutés entre 800 et 827.

Les 100 et quelques versets où les "dis ! :" manquent ont été introduit après 827 et avant la fixation définitive du Coran intervenue vers 850.

 

La Bible ou le Coran ? La Bible ou le Coran ? La Bible ou le Coran ? La Bible ou le Coran ? La Bible ou le Coran ? 

 

 

[1] Sourate 2, verset 256

[2] Sourate 4, verset 91

[3] Sourate 2, verset 106. Sourate 16, versets 101 à 103.

[4] Sourate 2, verset 106. Sourate 16, versets 101 à 103.

[5] Sourate 66, verset 10.

 

 

[6] Sourate 10, versets 90 à 92

[7] Sourate 11, verset 98. Sourate 20, verset 78. Sourate 28, versets 40 et 41. Sourate 79, verset 25.

[8] Sourate 12, verset 111.

[9] Sourate 12, verset 7.

[10] Sourate 12, verset 21.

[11] Sourate 5, verset 66.

[12] Sourate 4, versets 171.

[13] Sourate 2, versets 143.

[14] Jean de Damas, Traité des hérésies, 100ième hérésie, Sources Chrétiennes, N° 383, Paris, Cerf, 1992.

[15] Sourate 5, verset 72

[16] Il y a plusieurs raisons de penser que mushrikun signifie souvent chrétien, et non pas polythéiste ou idolâtre : la première est que l’attestation de Jean de Damas date d’un siècle après les faits, alors que les interprétations islamiques traditionnelles ne sont attestées que plus de deux siècles après les faits. La seconde est l’analyse ci-dessus des versets du Coran, qui montre que dans ces versets le sens est exclusivement chrétien. La troisième est que le sens polythéiste ou idolâtre contribue dans ces versets à masquer l’origine nazaréenne. Si l’on analyse l’ensemble du Coran, les appels à adorer un seul dieu sont prononcés 271 fois. Le contexte indique que dans 74 de ces cas, les personnes taxées de polythéisme sont exclusivement les chrétiens. Dans d’autres cas, il se peut qu’il s’agisse exclusivement de chrétiens, mais le contexte de l’impose pas. Dans d’autres cas encore, il ne s’agit pas de chrétiens.

[17] Sourate 5, verset 82.

[18] Antoine Moussali, La croix et le croissant, Paris, Editions de Paris, 1998.

[19] Sourate 2, versets 75 et 79. Sourate 3, verset 78. Sourate 4, verset 46. Sourate 5, versets 13, 15 et 41. Sourate 6, verset 91. Sourate 7, verset 162.

[20] Sourate 2, verset 65. Sourate 5, verset 60. Sourate 7, verset 166.

[21] Joseph Azzi, opus cit. Les ajouts sont : sourate 2, versets 111, 120 et 140. Sourate 3, verset 167.

[22] Edouard-Marie Gallez, opus cit.

[23] Sourate 47, versets 1 à 3.

[24] Voir notamment Joseph Azzi, opus cit. et Edouard Marie Gallez, opus cit.

[25] Denys Bar Salibi, évêque d’Amid, dans son traité Contre les musulmans. (Traduction du syriaque en anglais par Alphonse Mingana, An ancient Syriac Translation of the Ku’ran exhibiting new Verses and Variants Manchester, London University Press, Longmans, Green and C°, 1925.

[26] Sourate 111, verset 1.

[27] Sourate 9, verset 30.

[28] Sourate 5, verset 64.

[29] Sourate 63, verset 4.

[30] Sourate 2, verset 89.

[31] Sourate 4, verset 118.

[32] Sourate 23, verset 14.

[33] Sourate 23, verset 116. Sourate 25, verset 61.

[34] Alfred-Louis de Prémare, Aux Origines du Coran, opus cit.

[35] Date de la toute première mention du rôle prophétique de Mahomet.

[36] D’après le manuscrit de Khirbet el-Mird.

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