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La vie de Mahomet de l’hégire à sa mort

 

Dans l’histoire califale, Mahomet est mort en 632, peu après sa victoire sur les Mecquois.

 

Le ralliement des tribus arabes après 622

Tabari [1] est né en 839, en Perse. Premier chroniqueur musulman, il publia son œuvre historique vers 910, trois siècles après la mort de Mahomet. Il constitue la source principale de l’histoire califale. Il raconte que Khaled, un général, selon certains sous les ordres d’Abu Bakr, selon d’autres directement sous ceux de Mahomet, aurait reçu l’ordre suivant de Mahomet [2] :

"Si, dans une tribu, ils n’entendent pas l’appel à la prière, tu sauras que les gens de cette tribu sont des apostats et tu les feras mourir. Quant aux autres tribus où l’on aura entendu l’appel à la prière, invite-les à se rendre auprès de toi. Si elles paient la dîme, accepte-la et épargne ces hommes ; mais si on ne la paie pas, fais-les tous mourir et ne fais grâce à personne."

Les Byzantins et les Perses, engagés dans une guerre violente, ne pouvaient limiter les entreprises de Mahomet. Il en profita pour les étendre, par une combinaison typiquement messianique de prédication et de combats.

 

La conversion des Arabes du nord

Ibn Khaldoun fut le plus grand des historiens, des géographes et des philosophes de l’histoire en terre musulmane. Né en Espagne en 1332, il vécut essentiellement à Tunis où il mourut en 1406. Dans ses Prolégomènes, une introduction philosophique à son ouvrage principal, l’Histoire des Berbères, il cite l’ouvrage perdu d’Ibn Ishaq, le premier biographe de Mahomet. Ibn Ishaq écrivit un siècle après la mort de Mahomet. Ibn Khaldoum eut entre les mains un exemplaire, qui subsistait à cette époque, du livre de Ibn Ishaq. Il lut ce livre et en cite ce passage :

"Lorsque les Qurays (Qoreychites) furent bien organisés grâce au fait qu’ils avaient unifié l’ensemble des Arabes du nord, tous les Arabes leur obéirent... Leurs armées parcoururent les pays lointains, ce qui se produisit à l’époque des conquêtes. Celui qui s’est familiarisé avec l’histoire des Arabes et leur geste glorieuse (Siyar) et qui a constaté cela à travers leurs manières d’être, sait bien que les Qurays avaient en leur faveur le nombre et la capacité de s’imposer aux clans du nord. Ibn Ishaq, dans son livre des Siyar, l’a souligné, comme bien d’autres."

Pour les Arabes, le nord, c’est la Syrie et la Palestine, les pays les plus au nord qu’ils aient peuplés. La Mecque est à 1.700 kilomètres de la limite nord de l’habitat arabe, et à 1.100 kilomètres de sa limite sud. Il est clair que si les Qoreychites avaient été mecquois, ils n’auraient pas unifié les Arabes du nord. Ce que dit Ibn Ishaq montre que c’est bien l’unification des Qoreychites de Syrie et de Palestine, puis des tribus arabes de ces mêmes pays, qui a constitué l’étape initiale de l’islam.

 

Les conversions au nazaréisme

Elles furent nombreuses à cette époque, parmi les tribus arabes.

Ibn Qutayba vivait au neuvième siècle, deux siècles et demi après Mahomet. Il était un spécialiste des hadiths, un philologue, un linguiste et un épistolier de premier plan. Il cite trois tribus qui se convertirent au nazaréisme à l’époque du début de l’islam, dont les Ghassâns, très nombreux, qui formaient l’essentiel du peuplement de ce qui est aujourd’hui la Syrie et la Jordanie [3].

Les Ghassâns s’opposaient au pouvoir central byzantin [4]. Ils étaient devenus monophysites, ce qui donnait une base religieuse à leur opposition politique. Leur conversion au nazaréisme amplifiait cette tendance, car entre le nazaréisme et l’orthodoxie la distance était bien supérieure à celle entre le monophysisme et l’orthodoxie.

Al Ya’qûbi est un des grands historiens islamique, contemporain de Ibn Qutayba. Il indique neuf tribus converties au nazaréisme, parmi lesquelles celle de Lakhm, qui occupait un vaste territoire, sur une partie importante de l’Iraq actuel, autour de Hîra, au contact de la frontière perse [5].

Al Jâhiz, contemporain des précédents, fut aussi un des grands historiens islamiques, et également un théologien mutazilite, un prosateur et un polémiste religieux. Il indique onze tribus converties au nazaréisme [6].

En dédoublonnant celles qui sont indiquées par plusieurs auteurs, on arrive à 17 tribus différentes, dont les deux plus grandes, les Ghassân et les Lakhm, soit une large part du peuplement arabe du nord. Il s’agissait de tribus habituées aux raids de pillages, et le nazaréisme était une idéologie guerrière. Il est difficile de croire que des conversions aussi massives n’aient pas conduit à des opérations de guerre et de pillage. Or, on ne trouve aucune trace de guerres nazaréennes à cette époque, ni des causes d’une conversion aussi étendue. Par contre, on trouve des attestations historiques abondantes montrant qu’il y eu à cette époque des conversions massives chez les Arabes du nord, notamment les Ghassân et les Lakhm, et des guerres fondées sur ces conversions. Ce sont les conversions et les guerres de l’islam.

En 622, Mahomet est pris pour un prophète juif

Théophane est un moine byzantin, fondateur d’un monastère. En 811, Georges Syncelle, secrétaire du Patriarche Tarasius, sentit sa fin prochaine. Georges Syncelle avait entrepris d’écrire une histoire du monde et avait atteint l’année 284, celle où Dioclétien devint empereur. Il demanda à son ami Théophane de terminer son oeuvre. De 811 à 815, Théophane rassembla les archives disponibles à Byzance et s’en servit pour écrire sa Chronographie. Ce sont des annales, organisées par année, de 284 jusqu’à 815. L’année 622 porte l’indication suivante [7] :

"Les juifs se sont attachés à Mahomet parce qu’ils le tenaient pour l’un de leurs prophètes."

Il faut remarquer que les juifs ont pris Mahomet pour un prophète de leur tradition, ce que n’ont pas fait les chrétiens. Les juifs dont il s’agit sont des juifs traditionnels. Aujourd’hui, il serait tout à fait impossible de prendre un prédicateur musulman pour un prophète juif. Par contre un apôtre du nazaréisme pouvait prêter à une telle confusion. Voici pourquoi :

 

L’attente messianique des juifs au septième siècle

L’état d’esprit des juifs de cette époque se caractérisait par une forte attente messianique.

Une tradition faisait état d’un "Messie de Joseph" qui serait mis à mort. Celui-ci serait suivi "d’Elie le prophète", puis viendrait le "roi Messie" [8]. Les chefs juifs disaient "Un prophète va se lever. Son temps est proche. Nous le suivrons et il massacrera (nos ennemis) d’un (divin) massacre" [9]. Dans le peuple, "les gens se disaient les uns aux autres : sûrement, ceci est le Messie dont nous ont averti les prêtres" [10].

Nehemiah, l’exilarque, chef des armées juives entrées en Palestine avec les Perses ayant été assassiné, beaucoup le considérèrent comme le Messie de Joseph, et attendait de façon imminente Elie, puis le roi Messie.

D’autres juifs s’appuyaient sur une prophétie de Daniel disant qu’après 70 semaines d’années [11] le Temple serait reconstruit [12]. En datant la fin du Temple non de sa destruction effective par Titus, en 70, mais de la défaite de Bar Kokhba, en 132, on arrivait à la date de 622 pour la reconstruction du Temple. Cette croyance était partagée par de très nombreux juifs [13].

Ainsi, les spéculations théologiques juives de l’époque s’appuyaient sur le prophète Daniel et conduisaient à prévoir la reconstruction du Temple pour l’année 622, tandis que diverses autres spéculations également venues de la théologie juive faisaient prévoir l’arrivée imminente d’un prophète prédécesseur du roi Messie.

Les nazaréens pratiquaient les observances juives, ce qui pouvait conduire des observateurs superficiels à les prendre pour des juifs, et la théologie nazaréenne prévoyait le retour du Christ Messie, pour conduire les armées des Justes à la conquête du monde. Un chef judaïsant annonçant l’arrivée prochaine d’un Messie guerrier était exactement ce qu’attendaient les juifs de ce temps, ils pouvaient le prendre pour l’annonciateur juif prophétisé par Isaïe et Malachie.

Les chrétiens par contre ne pouvaient faire une telle confusion. Pour eux le Christ devait revenir seulement à la fin des temps, pour emmener tous les hommes, les vivants et les morts ressuscités dans le royaume éternel. Et il ne pouvait y avoir d’annonciateur, celui-ci étant déjà venu en la personne de Jean Baptiste. La confusion faite par les juifs et évitée par les chrétiens est une signature du nazaréisme.

 

L’arrivée des juifs d’Edesse à Yathrib, en 625 ou 627

Le Pseudo-Sébéos raconte qu’en 625 ou 627, des juifs d’Edesse, chassés par Héraclius, tentèrent de se réfugier à Yathrib, où ils pensaient trouver des juifs. Voici la suite de ce texte [14] :

"En ce temps-là il y avait un Ismaëlite nommé Mahomet, un négociant. Il se présenta lui-même à eux (les juifs d’Edesse) comme sur ordre de Dieu, comme un prédicateur, comme le chemin de la vérité, et leur apprit à connaître le Dieu d’Abraham, car il était très bien instruit et à l’aise avec l’histoire de Moïse. Comme l’ordre venait d’En-haut, ils s’unirent tous sous l’autorité d’un seul homme, sous une seule loi, et abandonnant de vains cultes, revinrent au Dieu vivant qui s’était révélé à leur père Abraham. Mahomet leur interdit de manger de la viande d’aucun animal mort, de boire du vin, de mentir ou de forniquer."

Dans ce texte, Mahomet est un orateur et un chef qui se présente comme un prédicateur et qui parle non pas en exposant des révélations apportées par l’ange Gabriel, mais en enseignant à des juifs le Dieu d’Abraham et l’histoire de Moïse ! Il se présente donc comme une sorte de juif, mais non un juif traditionnel, car "leurs cultes étaient différents", dit le chroniqueur. Mahomet, ce négociant ismaélite (arabe), chef de l’oasis et "très bien instruit et à l’aise avec l’histoire de Moïse" est fort loin de l’image califale, et tout à fait conforme à ce que nous savons des nazaréens. Il prescrit la morale élémentaire – ne pas mentir et ne pas forniquer – un interdit juif sur les bêtes mortes, et un interdit typiquement nazaréen, la prohibition du vin. C’est d’ailleurs un orateur de talent, car il convainc les juifs venus d’Edesse de se rallier à sa religion, et de se placer tous sous son autorité, en les persuadant qu’ils n’abandonnaient pas le judaïsme en embrassant le nazaréisme, ce qui montre à quel point la confusion était possible. Le Pseudo-Sébéos poursuit [15] :

"Il (Mahomet) ajouta : Dans un serment, Dieu a promis ce pays à Abraham et à sa postérité après lui à jamais. Il agissait selon sa promesse quand il aimait Israël. Maintenant, vous, vous êtes les fils d’Abraham, et Dieu réalise en vous la promesse faite à Abraham et à sa postérité. Aimez seulement(c’est à dire exclusivement, et non comme les associateurs) le Dieu d’Abraham, allez vous emparer de votre territoire que Dieu a donné à votre père Abraham, et personne ne pourra vous résister dans le combat, car Dieu est avec nous."

L’incitation à la guerre sainte, avec la victoire garantie par Dieu et le pillage en prime, sont typiques des messianismes. Les nazaréens ont adopté cette théologie, que l’on trouve dans le premier islam, comme dans celui d’aujourd’hui.

 

La lettre de 628

La chronique de Sebêos cite une lettre envoyée vers 628 par Mahomet à Héraclius. Peu importe qu’elle soit authentique, comme certains islamologues le pensent, ou fabriquée après coup, selon d’autres : comme elle est extrêmement célèbre, notamment parmi les musulmans, elle indique l’état d’esprit qui régnait à l’époque dans les armées de Mahomet. Comme la chronique de Sebêos date de 660, une trentaine d’années après la date de la lettre en question, et qu’elle n’a pas été filtrée par le pouvoir califal, elle indique mieux l’état d’esprit réel que les traditions califales, dont les plus anciennes datent de plus d’un siècle après cette époque, et les plus nombreuses de plus de deux siècles après. Voici son texte  [16] :

"… Celles-ci sont les tribus d’Ismaël… Tout ce qu’il restait des enfants d’Israël se joignit à eux, et ils formèrent une armée puissante. Alors ils envoyèrent une ambassade à l’Empereur des Grecs(Héraclius), disant : « Donnez nous cette terre en tant qu’héritage de notre père Abraham et de sa postérité après lui ; nous sommes les enfants d’Abraham ; vous avez tenu notre pays assez longtemps. Donnez le nous en paix, et nous n’envahirons pas votre territoire ; autrement, nous reprendrons avec intérêt ce que vous avez pris. »"

A cette époque, bien avant la conquête de Jérusalem, le rôle de Jérusalem était tellement central que toute autre conquête n’était vue que comme les intérêts dus. Jérusalem était le capital, l’essentiel, les autres conquêtes n’étaient que l’accessoire, les dommages intérêts dus par les chrétiens pour avoir indûment occupé Jérusalem. Il n’y a que dans la théologie nazaréenne que Jérusalem est à ce point décisive [17].

L’autre élément remarquable de la lettre est que les "juifs" et les Arabes combattaient ensemble dans la même armée, et que les Arabes se considéraient aussi "juifs" que leurs partenaires, et à ce titre autant héritiers qu’eux.

 

La défaite de Mu’ta, en 629

Théophile d’Edesse relate que Mahomet envoya une armée, partie de Yathrib, qui tenta de conquérir la Palestine. Elle fut battue par les Byzantins en 629, à Mu’ta, ou Môteh, avant d’atteindre le Jourdain, et dut battre en retraite. Cette bataille est la seule de toutes celles organisée ou livrée livrées par Mahomet qui soit historiquement avérée quant à la date et au lieu. Les textes musulmans présentent cette défaite comme un combat héroïque, où les musulmans déployèrent un héroïsme tel que cette défaite valait une victoire. Cependant, les rares textes musulmans qui y font allusion n’indiquent ni l’année ni le lieu [18].

On peut se demander ce que faisait Mahomet à cet endroit situé à une vingtaine de kilomètres à l’est de la pointe sud de la mer Morte (il est indiqué sur la carte de la page "La tribu de Mahomet : les Qoreychites".) Si vous voulez voir cette page, cliquer ici. Selon l’hagiographie musulmane, Mahomet était à cette époque absorbé par sa lutte contre la Mecque ; en 625, une armée mecquoise avait assiégé Médine, et infligé une défaite à Mahomet, à Ohod. En 627, une nouvelle armée mecquoise, plus importante, avait été arrêtée par un fossé creusé à la hâte, sur l’ordre de Mahomet, pour défendre la ville. Mahomet se jugeant incapable de résister en choc frontal à l’armée de 13.000 hommes envoyée contre lui, avait fortifié la ville, afin d’échapper par un siège à un combat en rase campagne.

L’histoire selon les sources non musulmane ne recoupe pas du tout cette histoire califale : comment se pourrait-il que, deux ans après la bataille du fossé, Mahomet ait pu abandonner sa base menacée pour tenter d’arracher la Palestine aux armées byzantines ? Cela revenait à livrer sa base à ses ennemis. Pour l’historien actuel, il est difficile d’imaginer que l’histoire califale et la chronique d’Edesse puissent être vraies simultanément.

 

La bataille de Gaza, en 634

A cette date, l’histoire califale dit que Mahomet était mort depuis deux ans, et qu’il avait été remplacé par Abou Bakr, calife de 632 à 634. Les documents non musulmans racontent une histoire différente.

 

Sophrone, Patriarche de Jérusalem

Ce patriarche fait état de la bataille de Gaza, en 634, où les Musulmans furent vainqueurs. Son texte a été écrit moins de dix ans après les faits. Il indique que les Musulmans avaient déjà une visée mondiale [19] :

"Ils se vantent de dominer le monde entier en imitant leur chef continûment et sans retenue."

Pour convaincre ses hommes qu’ils allaient conquérir le monde entier, ce chef était nécessairement un homme charismatique d’une très grande autorité. Un général de Mahomet aurait difficilement pu avoir une telle influence. Il est probable que ce chef était Mahomet lui-même, et qu’il n’était pas mort en 632, puisqu’il tentait de conquérir Jérusalem en 634.

 

Thomas le presbytre

Ce prêtre jacobite vivait à Resaina, dans ce qui est aujourd’hui l’Irak. Il écrivait en 640, six ans seulement après les événements qu’il relate [20] :

"En l’année 945 Indiction VII, vendredi 4 Shebat (cette date du calendrier byzantin correspond au 4 février 634 de l’ère chrétienne) à 9 heures, eut lieu le combat des Romains (les Byzantins) contre les Tayayê (les Arabes) de Mahomet, en Palestine, à 12 miles à l’est de Gaza. Les Romains s’enfuirent, abandonnant le patrice Bar Yardan, que les Tayayé tuèrent. Furent tués là environ 4.000 paysans pauvres de Palestine, chrétiens, juifs et Samaritains. Et les Tayayê dévastèrent toute la région."

Ce texte affirme que Mahomet était bien le chef qui commandait à la bataille de Gaza : Mahomet était toujours vivant en 634. Cette information est donnée par un contemporain de Mahomet, dont les œuvres, non musulmanes, ont échappées à la censure des califes.

Thomas indique une population locale formée de chrétiens, de juifs et de Samaritains, ce qui est exact : Gaza était le siège d’un évêché, et la présence de juifs et de Samaritains est indiquée par d’autres sources [21]. Thomas montre ainsi qu’il connaît la réalité locale de cette époque, contrairement aux textes musulmans sur le même sujet.

 

La Doctrina Jacobi

Ce texte, également appelé Didascalie de Jacob, est un ouvrage chrétien adressé aux juifs traditionalistes, écrit en grec, à Carthage, avant 640. Il contient une lettre envoyée par un juif de Césarée, Abraamès, à son frère Justus. L’extrait commence par relater la mort du patrice byzantin à la bataille de Gaza, en 634. Un patrice est un très haut dignitaire, qui commandait l’armée. Un "candidat" est un lieutenant de la garde impériale ; son rang est équivalent à celui de patrice. Justus cite la lettre de son frère [22] :

"Mon frère Abraamès m’a écrit qu’un faux prophète est apparu. Lorsque le Candidat fut tué par les Arabes, j’étais à Césarée et j’allais en bateau à Skymine (à 40 kilomètres au nord de Césarée). On disait : Le Candidat a été tué ! Et nous, les juifs nous étions dans une grande joie (Les juifs se réjouissaient de la mort d’un chef militaire byzantin parce que les Byzantins exerçaient de fortes pressions pour contraindre les juifs à se convertir au christianisme). On disait que le prophète était apparu, venant avec les Arabes, et qu’il proclamait l’arrivée du Christ oint, qui allait venir. Et moi,(Abraamès) étant arrivé à Skymine, je m’arrêtai chez un vieil homme bien versé dans les Ecritures, et je lui dis : Que me dis-tu du prophète arrivé avec les Arabes ? Il me répondit en gémissant profondément : C’est un faux prophète : les prophètes viennent-ils armés de pied en cap ?.... et moi, Abraamès, ayant poussé l’enquête, j’appris de ceux qui l’avaient rencontré qu’on ne trouve rien d’authentique dans ce prétendu prophète : il n’est question que de massacres. Il dit aussi qu’il détient les clés du Paradis, ce qui est incroyable."

On trouve ici une théologie qui prévoit un guerrier, préparant les conditions du retour d’un Christ guerrier, lequel ira conquérir le monde entier par les armes. Les juifs cultivés, et il s’agit ici d’un "homme bien versé dans les Ecritures", voyaient cet annonciateur comme un sage. Pour les musulmans dans leur théologie d’aujourd’hui, il y a bien un prophète armé, Mahomet, mais celui-ci n’annonce pas le retour imminent du Christ, le Messie armé qui va conquérir la terre.

Dans l’islam des origines, selon Anas ibn Malik, le Mahdi était le Christ. Pour en savoir plus sur ce point cliquez ici et voir le paragraphe "Le Christ dans l’islam". Ainsi, ces deux témoins du premier islam, Anas ibn Malik et Abraamès, concordent pour affirmer que Mahomet annonçait le retour imminent du Christ en armes. Il appliquait la théologie nazaréenne, s’apprêtait à conquérir Jérusalem, et attendait immédiatement après le retour du Christ armé. Au contraire, dans la théologie de l’islam actuel, le retour du Christ est indépendant de la conquête de Jérusalem, et ne se produira que bien des siècles plus tard, quand le Mahdi sera apparu. L’arrivée imminente du Christ est une signature du nazaréisme.

 

Un hadith surprenant et révélateur

Al Boukhari est l’auteur islamique dont l’autorité est la plus grande. Rappelons que pour prêter serment, un musulman doit poser la main soit sur le Coran soit sur le recueil de hadiths de Boukhari, à l’exclusion de tout autre livre. Juste après cet auteur se trouve Muslim, auteur d’un autre recueil de hadiths. Ces deux recueils sont déclarés sahih, ce qui signifie solides, c’est-à-dire authentiques. En dehors de ces deux recueils, aucun autre livre musulman ne s’est vu attribué ce qualificatif. Les deux contiennent cette proclamation de Mahomet  [23] :

"Par celui qui tient mon âme en sa main, la descente de Jésus, fils de Marie, est imminente."

Les érudits musulmans classent les hadiths en 4 catégories, bons, acceptables, faibles, faux. Ce hadith appartient à la première catégorie. Cette catégorie est divisée en six niveaux. Ce hadith appartient au premier, le meilleur, car il est identique dans les recueils de Boukhari et de Muslim.

En général, les hadiths ne sont pas des sources fiables car ils ont été mis par écrit deux siècles et demi après les faits, et pendant toute cette période les califes sont intervenus de toutes les manières accessibles à leur pouvoir. Cependant, ce hadith montre précisément ce que les califes ont voulu occulter : Mahomet était nazaréen et non musulman. C’est pourquoi il ne peut être une fabrication ultérieure. C’est un survivant des origines.

Ainsi, ce ne sont pas seulement Anas ibn Malik et Abraamès qui attestent cette proclamation de Mahomet, ce sont aussi les deux auteurs les plus respectés de l’islam, Boukhari et de Muslim.

La mort de Mahomet en 634

Le rabbin Eléazar Qilir, ou Kalir est le plus célèbre des poètes liturgiques hébreux. Il vivait en Palestine, au moment de la défaite byzantine de Gaza. L’un de ses poèmes évoque un "Messie de guerre", annonciateur du vrai Messie, qui entra à Jérusalem, commença à reconstruire le Temple de Salomon, et fut assassiné au bout de trois mois [24].

Si l’on interprète le Messie comme un guerrier venu rétablir par les armes l’indépendance d’un royaume juif, comme le faisaient de nombreux juifs du peuple, son précurseur annoncé par Isaïe et Malachie devait être aussi un guerrier. Or c’est Mahomet, vainqueur à Gaza, qui est entré à Jérusalem en 634. C’est donc lui qui a commencé à rebâtir le Temple de Salomon, une urgence dans le cadre de la théologie nazaréenne, et c’est lui qui a été assassiné au bout de trois mois.

Eléazar Qilir le désigne par l’expression "Messie de guerre" plutôt que par son nom, comme son contemporain Thomas le presbytre. Sans doute parce qu’un poème utilise volontiers les allégories et les métaphores.

Les divers textes que nous venons de voir indiquent que Mahomet était toujours en vie deux ans après la date supposée de sa mort. L’histoire califale a caché les circonstances et la date réelles car elle ne pouvait dire qu’il avait été assassiné à cette époque à Jérusalem : outre que cette fin était peu glorieuse, il aurait été difficile de cacher les origines de l’islam si le premier geste de Mahomet, après la victoire de Gaza avait été de s’y précipiter pour reconstruire le Temple.

Officiellement, le premier successeur de Mahomet fut Abou Bakr, censé gouverner de 632 à 634. Ses actes comme calife ne sont connus que par des sources musulmanes tardives, notamment la Sira d’Ibn Hichâm, et ne sont jamais mentionnés dans des documents non islamiques, au contraire des califes suivant, Omar, Othmân, Ali et leur successseurs. Ce contraste a conduit certains islamologues [25] à se demander si Abou Bakr, compagnon et beau père de Mahomet, avait bien été calife. Cette hypothèse est d’autant plus justifiée que, Mahomet étant toujours vivant en 634, il fallait expliquer qui était calife entre 632 et 634. Les historiens mandatés par les califes ultérieurs pour rédiger l’histoire ont dû trouver un moyen de combler l’intervalle. Le plus simple était de prendre un proche de Mahomet, et de lui attribuer un califat intercalaire.

Une raison supplémentaire de penser qu’Abou Bakr n’a jamais été calife est que son histoire est différente de celle des treize suivants : tous ont été assassinés, alors qu’Abou Bakr serait mort de mort naturelle. L’instabilité de l’islam primitif, que manifeste non seulement cette longue série d’assassinats, mais aussi les guerres civiles qui ont fait des centaines de milliers de morts parmi les musulmans durant les premiers siècles de l’histoire musulmane, rend pour le moins peu probable un unique califat paisible.

Mahomet, aussitôt après la victoire de Gaza est entré dans Jérusalem, une ville violemment hostile à l’occupation étrangère : les nombreuses guerres de libération juives, pendant des siècles, en témoignent. Il se plaçait dans une situation dangereuse, et plus encore en s’emparant de l’Esplanade pour y bâtir un temple. Il est compréhensible qu’il y ait été assassiné.

Jérusalem ne s’est rendue qu’en 637, et Omar n’y est entré qu’en 638. Entre 634 et 637 Jérusalem a donc été une ville libre. Les vainqueurs de Gaza ont évacué la ville. C’est une indication de plus que ces vainqueurs ont vécu après leur victoire un événement qui les contraint à la retraite.

D’autres attestations, melchites, jacobites, nestoriennes et samaritaines indiquent que c’est Mahomet qui a conduit la conquête de Palestine, ce qui implique qu’il n’est pas mort en 632, mais après [26].

Les historiens musulmans ont tous passé sous silence la date et les circonstances de la défaite de Mahomet, en 629, à Mu’ta, lors de sa première tentative de conquérir Jérusalem. Les documents byzantins attestent cette défaite et les historiens arabes y font quelques vagues allusions. Les mêmes historiens ne pouvaient qu’occulter plus encore une seconde retraite, surtout précédée de l’assassinat de Mahomet. Quant aux Byzantins, ils ne peuvent fournir de sources fiables sur le combat de 634 : en effet, à Mu’ta, les Byzantins l’avaient emporté et les historiens pouvaient interroger les vainqueurs à leur retour. A Gaza, cinq ans plus tard, les Byzantins ont été battus et le patrice, commandant en chef, tué. Seuls sont revenus des fuyards dispersés. Ce ne sont pas les personnes dont les historiens enregistrent le plus volontiers les comptes rendus. Il s’est quand même trouvé un juif de Palestine, qui n’avait ni les réticences des musulmans ni les difficultés des Byzantins, pour témoigner de ce qui s’était passé. Il est possible que si, malgré l’occupation de Jérusalem par les musulmans pendant tant de siècles, son texte nous est cependant parvenu, c’est parce que, sous la forme d’un poème liturgique en hébreu, et sans la mention explicite du nom de Mahomet, il a échappé à la vigilance des représentants du pouvoir chargés de détruire tout ce qui n’était pas conforme à l’histoire califale.

 

 

[1] Le nom complet est Muhammad ben Jarir ben Yazid al-Imam abou Jafar at-Tabari.

[2] Tabari, Histoire des prophètes et des rois, tome 2, Les quatre premiers califes, Actes sud, Paris, 2002.

[3] Le nom complet est Abd Allāh ibn Muslim ibn Qutayba, Abū Muh.ammad al-Dīnawarī al-Marwazī. Son livre est al Ma’ârif (les Connaissances). Les tribus indiquées sont celle de Rabî’a, de Ghassân et de Qudâ’a.

[4] Les monophysites pensaient que le Christ n’avait qu’une seule nature, divine, et non pas deux, une divine et une humaine, unies dans la même personne, selon les théologies catholique et orthodoxe. Les Ghassans, opposés au pouvoir impérial grec, avaient remplacé le grec par le syriaque comme langue liturgique.

[5] Al Ya’qûbi, T’arikh ( Histoire). Les tribus sont : Tamîm, Rabîa, Banû Taghlib, Tay’, Mazhaj, Bahra, Salîkh, Tannûkh et Lakhm.

[6] Le nom complet est Abu Uthman Amr Ibn Bahr al-Kinani al-Fuqaimi al-Basri. Les tribus sont indiquées dans le volume 7 de Kitâb al-Hayawân (Le livre des animaux).Ce sont Taghlib, Chibân, Âbd al-Qays, Qudâ’a, Salîkh, al-Ubâd, Tannûk, Lakhm, ‘Âmila, Jizân, Ibn Kathîr ibn Belhârith ibn Ka’b.

[7] Théophane le Confesseur, Chronographia. J.P. Migne, Patrologiae Graecae, tome 108, Edition de Boor, Theophanis Chronographia, II Leipsig, 1885.

[8] Succot 51b, Sefer Elijah

[9] Hishami

[10] Ibid

[11] Une semaine d’années signifie sept ans.

[12] Daniel, 9, 24.

[13] Hishami

[14] Histoire d’Héraclius par l’évêque Sébéos, op cit.

[15] Ibid.

[16] Histoire d’Héraclius par l’évêque Sébéos, op cit.

[17] Pour les juifs orthodoxes, Jérusalem est la capitale de l’Etat juif. Pour les nazaréens et pour les proto musulmans, elle devait devenir la capitale du monde entier.

[18] Par exemple Boukhari, Livre 64 (des expéditions militaires), chapitre 44, parle de la bataille de Mota. Il y dit que Mahomet en était absent, que le chef musulman, Zeid fut tué (Zayd Ibn Hâritha, fils adoptif de Mahomet), remplacé par Djafar, qui fut tué aussi, après avoir combattu tant d’acharnement qu’il reçu 50 blessures selon un hadiths, plus de 90 selon un autre. Djafar fut remplacé par Ibn Rouâha, qui fut également tué. Le chef suivant, Khâlid Ibn al-Oualîd fut si énergique qu’il brisa neuf sabres, le dixième, un sabre yéménite, étant seul capable de soutenir la vigueur du sabreur. Et la bataille finit par une victoire musulmane. Il est clair qu’un soldat ne peut continuer le combat après avoir reçu plusieurs dizaines de coups de sabre ou de lance, en ne tombant qu’au cinquantième ou au quatre vingt dixième, que personne ne va au combat avec dans le dos une hotte pleine de sabres de rechange, et qu’une bataille suivie d’une retraite est perdue. Les précisions données par Théophile d’Edesse montrent que Mahomet a organisé cette expédition. Les hadiths de ce chapitre sont visiblement fabriqués, mais pas nécessairement par Boukhari. Balâdhurî, Ansâb, I, chap 7, donne des indications voisines. Djafar aurait reçu 72 blessures avant de tomber, et Khâlid conduisit la retraite.

[19] Sophrone de Jérusalem, Sermon sur la Théophanie, cité par Christoph von Schönborn, Sophrone de Jérusalem, Vie monastique et confession dogmatique, Collection Théologie Historique, Paris, Beauchesne, 1972.

[20] Chroniqua minora, Pars seconda, III. Traduction Alfred-Louis de Prémare, Les fondations de l’islam, Paris, Seuil, 2002.

[21] Yaqûbî, Buldân et Bakrî, Mujam.

[22] Doctrina Jacobi, 5, 16, traduction Gilbert Dagron et Vincent Déroche, juifs et chrétiens dans l’orient du 7ième siècle, Travaux et Mémoire, Collège de France, Centre de recherche d’histoire et de civilisation de Byzance, 11, Paris, de Boccard, 1991.

[23] Al Boukhari, Sahih, livre 60 (des prophètes) chapitre 49. Muslim, 2,189.

[24] Gilbert Dagron, Entre histoire et apocalypse, in Travaux et mémoire, tome IX, 1991.

[25] Edouard-Marie Gallez, op cit, et Patricia Crone et Michael Cook, opus cit.

[26] Patricia Crone et Michael Cook, Hagarism, opus cit.

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